Hébergement et accompagnement à l'insertion des personnes sortant de prison par d'anciens détenus : les Tontons ou pairs aidants
10 juin, 18H30 l Hôtel de l'Industrie l Un évènement parrainé par le Geste d'Or
Avec 75 897 personnes incarcérées en France au 1er janvier 2024 (+5,2 % sur un an), le nombre de détenus a atteint un nouveau record. Ce chiffre exprimé en stock ne doit pas faire oublier l'ampleur du phénomène de l'incarcération lorsqu'il est mesuré en flux : d'après les données de l'administration pénitentiaire, environ 150 000 personnes passent par la case prison chaque année.
Fantasmées pendant la détention, les sorties de prison deviennent rapidement un parcours du combattant : 80% d’entre elles sont des "sorties sèches", c'est-à-dire sans projet d'insertion, souvent sans droits ouverts, sans domicile fixe en point de chute. Le sortant subit et intériorise le stigmate que semble porter indéfiniment celui qui a « fauté » : difficultés de réadaptation à la vie du dehors, accès complexe aux services sociaux et sanitaires de droit commun quand ce n’est pas un véritable refus de prise en charge, discriminations dans l’accès à l’emploi... Et la Justice lui demande de prouver qu’il mérite sa liberté, faisant peser une pression peu favorable à la réintégration.
Dans ce contexte, on estime le taux de récidive à 33% au bout d’un an, 46,5% au bout de deux ans, et 53,7% dans les 36 mois (Min. de la Justice, 2016). Sur une plus longue période, la plupart des études font état de 65% à 70% de récidive. Pourtant, la loi donne à la prison pour mission de « sanctionner l’auteur de l’infraction » certes, mais aussi de « favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion » (art. 130-1 du code pénal). Dix ans après l’adoption de la loi du 15 août 2014 relative à l'individualisation des peines, qui visait à prévenir la récidive et la réinsertion sociale, rien n’a véritablement changé. L’échec est criant.
Pour apporter une réponse à cet enjeu, Concienta, expérimente le principe de la pair-aidance dans l’accueil, l’acclimatation et l’accompagnement des personnes placées sous main de justice ; elle construit des projets d'insertion tant avec des personnes détenues, sortantes, que sorties.
Les sortants de prison, une population particulièrement vulnérable, livrée à elle-même
Une étude de 2016 -Mesurer et comprendre les déterminants de la récidive des sortants de prison, Frédérique Cornuau et Marianne Juillard - dresse le profil type des sortants de prison : une population jeune, non diplômée, souffrant d’addictions ou de troubles. Sans surprise, la moitié des sortants de prison de 2016 avaient moins de 30 ans au moment de leur incarcération, 64 % ont un niveau collège ou inférieur. 39 % sont signalés pour des addictions aux drogues, à l’alcool ou aux psychotropes, tandis qu’un quart a fait l’objet d’un suivi psychologique ou psychiatrique. De surcroît, cette population apparaît « socialement isolée », la moitié n’ayant pas d’emploi stable et 14 % présentant une « instabilité dans le logement ». Plus d’un cinquième des sortants de prison n’ont reçu aucune visite au cours de leur détention et quatre sur dix n’ont bénéficié d’aucun soutien financier extérieur.
Concienta prend une place laissée vide par les acteurs sociaux à cause de sa complexité, celle qui correspond aux 6 premiers mois de sortie, pour des individus souvent SDF, au profil addictif et violent. Cette période est très difficile pour les anciens détenus car, sortis pour la plupart agoraphobes, ils doivent réapprendre les codes d'une société qui leur est devenue étrangère ; ils sont mal compris et ne comprennent pas les intervenants sociaux. Par ailleurs, une sorte de défiance s'est installée entre eux et "les autres" : ils ne font pas ou peu confiance à ceux qui représentent, selon eux, de près ou de loin l’institution qui les a condamnés. Fragiles mentalement, avec des troubles psychiatriques aggravés par la période de détention, ils ont besoin d'un temps pour se reconstruire et comprendre ce qu'ils doivent faire pour s'insérer ou se réinsérer.
La pair-aidance, une innovation sociale décisive
Inspirée par Gilles Martin, ancien boxeur professionnel incarcéré de 1996 à 2002, l’association Concienta expérimente la pair-aidance comme pilier d’un accompagnement global et permanent (24h/24h et 7j/7j) qui s'établit essentiellement sur le comportement et le savoir vivre. Elle part du principe que seul un détenu réinséré peut comprendre et aider au mieux un détenu sortant, ayant les mêmes références et utilisant le même langage. Aussi, dans le centre d’hébergement de Concienta, les « anciens » surveillent-ils les « nouveaux ».
Cet accompagnement se compose notamment :
Pour aller plus loin, Concienta a besoin d’aide !
Fort de son expérience terrain et de sa connaissance humaine des problématiques de réinsertion, Concienta souhaite changer d’échelle et expérimenter un accompagnement renforcé sur les addictions et la santé mentale, en mobilisant addictologues et psychiatres pour définir dès les début un parcours de soins personnalisé. C’est le projet « Club M’Aide ». Toutefois, elle est confrontée aux obstacles classiques de toutes les innovations sociales et ne rentre dans aucune case éligible aux financements publics :
Dans l’immédiat, les besoins de Concienta s’observent à trois niveaux :
A noter que cette reconnaissance est également souhaitable pour :